La transformation des arts martiaux en sports nous a fait peu à peu oublier que ces disciplines sont nées dans les édifices spirituels de Chine, sous l’influence d’un courant de pensée Indien, selon lequel l’esprit et le corps doivent être travaillés de pair et réunis à parts égales pour que l’homme atteigne son plein potentiel de vitalité. Malgré tout le folklore et le symbolisme qui les accompagnent, nous avons également oublié dans quelle mesure les arts martiaux ont été façonnées par le Confucianisme, le Bouddhisme et le Taoïsme pour en devenir des supports de transmission, des supports vivants par lesquels l’apprentissage se faisait au moyen d’un juste équilibre entre théorie et pratique, entre étude et expérimentation.
À des époques où dans les temples de Chine, le souci majeur des hommes était de comprendre comment vivre en paix entre le ciel et la terre, la nature et ses lois constituaient leur sujet d’étude central. Bien entendu, la volonté d’établir un art de vivre en conséquence afin de s’extraire des souffrances terrestres ne fut pas une particularité Chinoise. Non, cette démarche fut à l’origine de la création de bon nombre d’écoles et de courants de pensées à travers le monde. Ces écoles, lorsqu’on les compare, partagent souvent des connaissances communes concernant l’histoire de l’humanité, le fonctionnement de l’univers et le rôle de l’homme en son sein. Elles en viennent à établir des conclusions plus que similaires à propos de la manière d’aborder la vie et ses épreuves, de vivre en harmonie avec la nature, de garder le corps et l’esprit en santé ou de les soigner, d’organiser la vie des hommes entre eux ou encore de maintenir un lien constant avec le monde invisible.
Qu’on les nomme écoles initiatiques, ou écoles des mystères, ces lieux de connaissances avaient tous comme racine un art nommé Alchimie.
Le mot Alchimie viendrait de l’arabe Al-Kimiya composé de deux clés : Al qui signifie «Dieu» et Kimiya signifiant «terre noire» et faisant référence aux terres alluvionnaires d’Égypte. Faut-il comprendre par-là que l’alchimie serait née en Égypte et qu’elle serait destinée à révéler comment trouver Dieu ou du moins l’or qui symbolise sa lumière éternelle dans le minerai issu de ces terres ? Une certaine partie de la population peu sensible à la subtilité d’un langage symbolique le pense mais pour une autre, une seconde lecture est possible. Celle-ci nous suggère qu’il existe en nous un fragment de Dieu et qu’il faut considérer la clé « Al » comme représentant cette portion d’essence divine qu’il y a au centre de chaque être humain : ce que nous appelons «âme» en occident. Cette portion d’essence divine c’est le feu ou la lumière célestes. La clé «Kimiya», elle, doit être perçue à la fois comme la matière (ce que suggère le terme «terre») ou les ténèbres (ce que suggère le terme «noire»).
Cette seconde lecture nous amène à penser que l’alchimie consisterait à chercher «la lumière dans les ténèbres» ou encore «l’âme dans la matière». Certains disent que par «ténèbres» il faut entendre «l’inconscient biologique» dans lequel la lumière de l’âme serait dissimulée bien que le terme «voilée» soit plus approprié en alchimie. Cette manière de proposer plusieurs lectures à plusieurs niveaux de compréhension est propre à l’art alchimique. On nomme cela la langue des oiseaux, le langage cabalistique ou encore le langage Hermétique en l’honneur d’Hermès Trismégiste, le messager des Dieux qui, selon les Grecs, aurait apporté de nombreuses connaissances aux hommes dont celles qui auraient constituées les fondements de l’alchimie.
On peut définir l’alchimie comme l’art des transmutations. On dit qu’elle a pour objectif de transmuter le plomb en or. Il faut comprendre par-là que l’alchimie consiste à comprendre et à reproduire les étapes d’un processus évolutif naturel destiné à révéler la lumière qu’il y a dans la matière. Ainsi pratiquer l’alchimie, c’est chercher à purifier une matière étape par étape pour finalement y trouver l’essence divine. La quête de l’alchimiste est «la pierre philosophale», une substance qui aurait la particularité de purifier la matière et qui constituerait également la panacée ou la médecine universelle. Si l’on décode un peu le terme «pierre philosophale», nous avons d’un côté une pierre qui représente la matière et de l’autre côté ce terme élaboré par Pythagore, «philosophale», qui signifie «amour de la sagesse». La sagesse c’est l’art de vivre en harmonie avec les lois de l’univers. La pierre philosophale ne serait-elle pas la capacité de purifier notre matière, c’est-à-dire notre corps par un art de vivre en conformité avec la nature qui est l’expression de Dieu sur la Terre et de ce fait, avec notre nature également puisque nous sommes d’essence Divine ? Tout en alchimie, n’est qu’une question de lecture et d’interprétation des symboles et des termes.
L’alchimie comprenait plusieurs voies. Celle qui nous vient immédiatement à l’esprit est celle qui consistait à purifier les métaux mais il existe également d’autre types de travaux opératifs avec les végétaux par exemple. Les longues études, les recherches, les expérimentations répétées, les invitations à considérer son propre état de centrage, de neutralité ou de pureté intérieur comme déterminant pour parvenir à purifier une matière minérale, métallique ou végétale avait dit-on, la capacité d’agir parallèlement sur les dimension internes de l’opérateur. En d’autres termes, accomplir une œuvre de purification ou de rectification d’une matière avait selon les alchimistes, le pouvoir de le faire également dans les dimensions subtiles ou énergétiques de nous-même. En y réfléchissant, qui n’a jamais eu l’impression de mettre de l’ordre dans ses idées en mettant de l’ordre dans sa maison ? Qui n’a jamais eu l’impression de se recentrer en menant une activité de précision nécessitant de la concentration ? Les exemples sont légion si nous souhaitons attester l’existence d’un lien entre nos actes et nos états d’être, entre ce que nous faisons à l’extérieur de nous-même et notre intériorité. Cela fonctionne d’ailleurs dans les deux sens car nos actes dépendent majoritairement de nos états intérieurs si nous n’en avons pas la maîtrise.
Mais il existait une autre voie alchimique. Elle fut parcourue en Chine par les Bouddhistes et les Taoïstes. Cette voie était nommée « voie royale ». Sa particularité était de proposer un travail directement sur l’Être et non sur une matière extérieure. La voie royale partait du principe que l’Être humain est un microcosme relié au macrocosme et qu’il est donc soumis au même fonctionnement et aux mêmes lois. Son objectif était de comprendre et d’accompagner les différents processus qui permettaient, à travers le corps, de transformer une matière ou un acte en pure énergie subtile, destinée à nourrir la vie en soi et à l’extérieur de soi. C’était également l’art de transmuter les émotions, les blessures, les faiblesses en énergies et en actions constructives destinées, elles aussi, à nourrir la vie, ce qui revient selon moi, à chercher la lumière dans les ténèbres.
La voie royale était une voie de dépouillement. Elle souhaitait révéler à l’homme son essence divine en l’amenant à se délester des couches épaisses de croyances, de conditionnements, de schémas limitants et de bagages ancestraux en renversant l’égo de son trône de Maître absolu pour le relayer à un modeste rôle de serviteur. La voie royale entendait enseigner comment l’esprit, le souffle et le corps pouvaient être travaillés pour ensuite s’unir au service de la création.
Dans les écoles initiatiques bouddhistes et Taoïstes Chinoises, les arts martiaux constituaient une manière de marcher sur la voie royale. Ils formaient une méthode parmi d’autres qui avait la particularité d’apporter un ensemble de connaissances théoriques à leurs adeptes et d’autre part le pouvoir de les immerger dans un élément à même de leur faire vivre concrètement, dans le corps et dans les actes, l’expérience de la sagesse, c’est à dire d’une existence en conformité avec les lois de la nature et du vivant.
Il faut bien comprendre que l’analogie était le moyen de transmission des écoles initiatiques car chaque initié devait jurer sur sa vie de ne jamais divulguer les connaissances qu’il allait découvrir en entrant dans un apprentissage initiatique. Lorsqu’un initié était autorisé à enseigner, il ne pouvait le faire qu’au moyen d’analogies. En Chine, pays qu’on dit détenir la plus ancienne des formes d’alchimie, les Arts Martiaux sont devenus des vecteurs analogiques de transmission idéaux pour enseigner les mystères de la nature. Tout comme certaines danses, ils ont été façonnés afin que leurs éléments de pratique externes (les gestes, les méthodes de travail sur les muscles, les tendons ou la charpente osseuse…) et internes (le souffle, la concentration de l’esprit, l’intention, les visualisations, les sons…) constituent des processus opératifs alchimiques d’épuration, de dissolution, d’organisation et de dynamisation de toutes les couches énergétiques de l’Être.
OUI, les arts martiaux Chinois sont avant tout des QI GONG, c’est-à-dire des méthodes de travail sur l’énergie vitale.
Comment ne pas se rendre compte que les gestuelles de ces disciplines ancestrales ne sont pas préalablement faites pour nuire basiquement à un individu mais qu’elles sont conçues pour activer, véhiculer et canaliser un potentiel énergétique à la fois externe et interne. Il est vrai que pour cela, il faut un minimum de sensibilité aux dimensions énergétiques de l’Être mais il faut également être sensible à l’expression de ces énergies par le mouvement. Je pense néanmoins que même sans cela, lorsque l’on compare une science du combat occidentale et un art martial Chinois, pour peu en plus, que ce dernier ait une dimension interne affirmée, on peut, avec un peu de recul, concevoir que l’objectif de base n’est pas le même…
Je dis cela, en passant, pour les crétins qui s’évertuent, par exemple, à vouloir opposer des pratiquants de Taijiquan à des pratiquants de MMA devant des caméras, pour ceux qui se prêtent à ce jeu et pour ceux que le spectacle excite… Il est certain que la subtilité de ce que peut être un art alchimique est sûrement loin de pouvoir atteindre leur esprit.
Inutile de tenter de leur expliquer qu’une INTENTION martiale détient le pouvoir de mobiliser une grande énergie et qu’un ART martial a pour but de maîtriser cette énergie pour la mettre au service d’actes constructifs et non destructeurs. Difficile de leur faire comprendre qu’à travers l’expression de son art, un artiste martial transmute et harmonise la somme des énergies engendrée par ses intentions et que c’est là son objectif principal. Car en apprenant à le faire par le biais d’une étude des lois qui régissent l’univers dont il fait partie et bien entendu, par une pratique régulière de son art, il devient peu à peu un canal à travers lequel les énergies de vie circulent de manière fluide. Cela lui garantit une parfaite santé et il me parait utile de rappeler que ce que l’on nomme « pierre philosophale » transmute non seulement le plomb en or, c’est-à-dire les énergies denses et lourdes en énergies subtiles et légères, mais qu’elle détient de ce fait également la panacée. C’est dans la pleine santé que le serpent ou le tigre peuvent tous deux s’envoler… Cela signifie que la pleine santé est l’expression de l’harmonie de la circulation de l’énergie dans le vivant et qu’elle est la clé de la transmutation des énergies terrestres matérielles en énergies célestes subtiles ou spirituelles.
Oui, c’est à mon sens inutile de vouloir expliquer cela à des esprits étriqués, c’est pourquoi j’y renonce. Je ne m’adresse certainement pas à ce public qui cherche absolument à trouver, à travers la pratique d’un art martial, autre chose que des armes destinées à se combattre lui-même.
C’est donc davantage à un public conscient qu’une existence nous est donnée afin que l’on travaille à découvrir la lumière dissimulée au cœur de notre matière que je m’adresse. Un public qui, pour le faire, souhaitera arpenter ce que l’on nomme traditionnellement la voie du guerrier et affronter les efforts qu’elle requiert.
C’est sur la base de l’enseignement du Wing Chun, un style martial qui a suffisamment tardé à vendre son âme au diable pour conserver des traces d’une transmission initiatique en son sein que je prendrai plaisir à démontrer, au cours d’un stage de deux jours, comment les arts martiaux traditionnels offrent les éléments d’un travail alchimique. Ce stage qui mêlera théorie et pratique est ouvert à toutes et à tous. Il pourra à la fois constituer une première approche pour celles et ceux qui cherchent à introduire un art martial traditionnel dans leur vie mais également enrichir les connaissances des pratiquants qui souhaiteraient comprendre en quoi leur discipline est bien plus qu’un sport de combat ou une méthode de self défense.
Comme à mon habitude, je dirigerai ce stage dans ce formidable endroit qu’est l’institut Bouddhiste Karmapa situé dans la commune de Valderoure à environ une heure de Nice. Vous trouverez dans la rubrique « stages » sur ce site, tous les renseignements concernant ce premier évènement de la saison 2023-2024 : c'est par ici !
Vous pouvez cependant découvrir le programme du stage co-dessous.
Qu’est-ce que l’alchimie ?
Qu’est-ce que les lois universelles ?
Qu’est-ce que la voie royale ?
Les Bouddhistes et les Taoïstes : des alchimistes.
Le symbole Yin Yang et le caducée d’Hermès.
KUNG FU, un terme propre à l’alchimie Chinoise.
Le premier élément de travail se fait dans la communauté.
Le second élément de travail se fait dans la solitude.
Le WING CHUN, un art alchimique.
Les symboles alchimiques du Wing Chun.
YJKYM un premier travail opératif.
La symbolique de l’arbre alchimique dans les postures.
Le DON TEEN / DAN TIAN et le HAY GONG.
Le SIU LEEM TAU
Le SOM BAI FUT
Entre le Tiel et la Terre (le corps comme canal d’énergie / dynamique des déplacements)
L’harmonie dans la dualité
L’unité corps souffle esprit
YJKYM : travail interne et externe de la position Mère du WING CHUN.
Le SOM BAI FUT (marier l’intention, le souffle et le geste pour employer l’énergie vitale au service du martial)
QI GONG WEI DAN et NEI DAN (former le véhicule et lui donner le bon carburant)
Les principes du serpent (les techniques faisant appel aux principes mécaniques du serpent en application).
Les principes de la grue blanche (les techniques faisant appel aux principes mécaniques de la grue blanche en application).
Établir une base de travail alchimique à deux.