Le milieu des Arts Martiaux regorge de termes qui revendiquent les directions spécifiques que les pratiquants choisissent de prendre dans leur carrière. Il n’est par exemple pas rare qu’une école se définisse comme « école de Wing Chun traditionnel ». Ce terme qui nous laisse une impression d’authenticité implique plusieurs paramètres qu’il est bon de connaître et de vérifier afin d’éviter de tomber dans le piège d’un slogan attracteur mensonger.
Traditionnel veut dire « véhiculant une tradition », c’est-à-dire une manière précise d’enseigner transmise de génération en génération. Une école traditionnelle doit donc être attachée à une lignée de professeurs remontant à un fondateur reconnu, qu’il soit le fondateur d’un style précis, un personnage historique célèbre pour ses talents de pratiquant ou encore le membre d’une famille de maîtres ayant développé une vision personnelle de l’art. « Reconnu » signifie que ce fondateur est officiellement attesté par la communauté martiale comme digne représentant d’un style.
Dans le Wing Chun traditionnel, les écoles traditionnelles ont coutume de se relier à différents Grands Maîtres du sud de la Chine ou du Vietnam. Le plus célèbre d’entre eux est bien entendu G.M. Yip Man. Le professeur d’une école traditionnelle de Wing Chun présente généralement un arbre généalogique qui le relie au fondateur de l’enseignement qu’il transmet.
Le terme traditionnel est également censé souligner la différence avec le courant martial moderne ou sportif qui est le plus souvent divulgué en occident. Une école traditionnelle dispose généralement de son propre système de graduation et ne s’affilie à une fédération nationale que pour bénéficier de la reconnaissance du droit d’enseigner aux yeux de la loi. Elle bénéficie ainsi également du système d’assurance fédéral. Il faut donc différencier les ceintures fédérales des ceintures d’école. Une ceinture fédérale ne valide que quelques compétences techniques d’ordre général alors qu’une ceinture d’école valide normalement un lourd bagage théorique, physique, comportemental et enfin technique. Une ceinture fédérale permet d’accéder à des diplômes légaux. Une ceinture d’école permet d’être reconnu comme détenteur des savoirs et des savoir-faire d’une tradition.
Une école traditionnelle ne participe généralement pas à des compétitions, qu’elles soient d’ordre technique ou dédiées au combat car, dans l’esprit martial traditionnel, la compétition divise les hommes et nourrit les egos.
L’enseignement d’une école martiale traditionnelle va bien au-delà d’une formation physique et technique. Il apporte une immense richesse théorique qui invite l’étudiant à étudier la culture originelle de son art et à comprendre l’univers qui l’entoure. Dans une école traditionnelle, l’art martial est considéré comme un art de vivre et non pas comme un loisir. On veille également à ce qu’il participe au bien de l’humanité en formant des êtres équilibrés, responsables, maîtres d’eux-mêmes et enclins à protéger la paix.
Le Wing Chun traditionnel ou non, étant l’art martial Chinois le plus pratiqué dans le monde, il est courant que ses écoles affichent une double notion de tradition. La première les relie au fondateur originel de leur enseignement et la seconde à celui qui l’a véhiculé. Par exemple, deux écoles peuvent être reliées au G.M. Yip Man mais se différencier dans leur contenu pédagogique parce que les représentants actuels ont suivi l’enseignement de deux élèves différents du Grand Maître.
G.M. Yip Man était reconnu pour ses talents de pédagogue et il avait la faculté d’adapter le Wing Chun et son programme d’apprentissage à la personne à qui il enseignait. Ses élèves n’ont donc pas tous reçu le même bagage et si on ajoute à cela leur propre interprétation qui, avec la maturité, s’approprie l’art, il est tout à fait normal d’observer des nuances dans les discours de deux professeurs issus du même courant. Voilà pourquoi il y a différents types de Wing Chun comme il y a différents types de Karaté. Il y a des styles au sein du style, c’est une évolution inévitable. Cependant, la tradition impose des critères d’enseignement pour préserver l’art. Les cycles d’apprentissage, l’étude des maximes du Wing Chun, les concepts géométriques et philosophiques de base et les règles de conduites en sont des exemples. Sans l’existence de ces repères, l’évolution engendrerait systématiquement un éloignement du sens originel de l’existence du Wing Chun.
La tradition doit toujours nous permettre de remonter le courant jusqu’à la source. Lorsque l’homme est perdu, il doit retourner aux fondamentaux.
Est-ce là la leçon que l’humanité va devoir apprendre dans les quelques décennies à venir ? L’humanité a tellement renié ses traditions qu’elle s’est éloignée de la nature et de la sagesse, elle s’est décentrée et commence à en subir les conséquences. Si elle ne retourne pas aux fondamentaux en replaçant l’humain et le vivant au centre de ses préoccupations, il y a de fortes raisons de croire que les conséquences qu’elle devra assumer seront effroyables.
Aujourd’hui, suivre une tradition, c’est nager à contre-courant. Rares sont ceux qui en ont le courage. Les écoles traditionnelles d’arts martiaux se vident au profit des clubs de sports d’inspiration martiale. Les gens veulent du loisir, du style ou de la violence pour assouvir les besoins naissant de la société malade dans laquelle ils vivent. Étudier en quoi la vie est une école ne les intéresse pas. Pourtant, l’humanité aurait beaucoup à gagner à se retourner vers les sagesses anciennes, vers ces traditions garantes d’équilibre, de santé, d’harmonie et de paix.
Brice AMIOT pour A.M.E.S